Je reprends le commentaire de notre ami SUPERMEGALOSAURUS
Le paléontologue averti - et Dieu sait si l'on en trouve sur ce forum - commençait à s'en douter depuis un certain temps : les aventures de Rahan, l'intrépide homme préhistorique créé en 1969 par Roger Lecureux et André Chéret et qui fit les très riches heures de feu
Pif Gadget, ne sont pas d'une rigueur scientifique au-dessus de tout soupçon. Outre les préoccupations humanistes bien anachroniques du héros en ces âges farouches, il relèvera surtout la propension de celui-ci à croiser avec une belle régularité la route de divers sauriens de l'ère secondaire, dont la présence aux côtés de "ceux-qui-marchent-debout" ne manquera pas de le laisser dans un état de profond scepticisme. Car depuis
Jurassic Park, même le pire cancre de CE1 sait bien qu'entre le dernier dinosaure et le premier hominidé se trouve un abîme temporel que quelque 65 millions d'années, qu'il est bien audacieux de franchir avec autant de désinvolture. Et pourtant, le fils de Crâo, au cours de sa carrière, rencontrera Tyrannosaures, Tricératops, Plésiosaures, Brontosaures (oui, bon, OK : Apatosaures…), Ptérodactyles et même quelques bestioles hybrides qu'il reste encore à la science à découvrir. Le tout sans jamais se départir de son habituelle ingéniosité qui, à chaque fois, lui permettra de venir à bout des monstres, au grand soulagement des populations locales qui l'acclameront et le prieront, sans succès, de devenir l'un de leurs à la fin de l'épisode. En fait, on accuse une innocente météorite mexicaine d'être à l'origine de la disparition des dinosaures, mais si vous voulez mon avis, c'est plutôt du côté de Rahan que la Justice devrait enquêter… Enfin bref.
Cela dit, si le bestiaire dinosaurien auquel se frotte Rahan est des plus fournis, nul n'égale le Roi des Monstres en personne :
Godzilla lui-même, que Rahan va non seulement rencontrer, mais auquel il va, en plus, mettre la pâtée.
Car oui, Rahan rencontre Godzilla, et le bat. *kk18*
Haaaa, je vois qu'on ne vous la fait pas : comment la Toho, aussi sourcilleuse sur l'usage de son
kaiju vedette, aurait-elle laissé sa propriété apparaître dans un obscur (pour eux) journal infantile français, et en plus se faire rétamer, là où MechaGodzilla, Gigan et Anguirus s'y étaient eux-mêmes toujours cassés les crocs ? Évidemment, il ne s'agit pas vraiment de Godzilla, mais de l'un de ses plus beaux clones : l'énorme et redoutable
Terrora.
En juillet 1981 paraît le n°22 du bimensuel "Rahan - Nouvelle Collection", avec en couverture le fils des âges farouches poursuivi par une sorte de théropode de nature assez mal déterminée, mais visiblement affamé : jusqu'ici, la routine me direz-vous… Sauf que voilà : en page 47 commence l'aventure proprement dite, "Le Piège Fantastique", et là c'est le choc : au vu de la taille de l'empreinte de la bête, il est évident que Rahan ne va pas affronter son énième Tyrannosaure, mais qu'il est à présent confronté à quelque chose de beaucoup plus… gros !
Pas de doute, ce coup-ci, c'est du lourd !Certes, la paire Lecureux/Chéret (des fois remplacé au dessin par l'espagnol Romero - rien à voir avec les zombies) nous avait déjà habitué à quelque démesure par le passé, mais là, franchement, c'est de l'inédit ! Et là, le cinéphile, qui n'est pas sans savoir que la décennie précédente fut celle de l'apogée de Godzilla dans les salles francophones (
Les Envahisseurs Attaquent en 1970,
Objectif Terre, Mission Apocalypse en 1973,
Godzilla 80 et
Les Monstres du Continent Perdu en 1976,
Godzilla contre Mecanik Monster en 1977,
La Planète des Monstres en 1978…) commence à sentir le coup venir... Intuition confirmée pas plus tard que page suivante :
La silhouette générale, la taille, la crête… pas de doute, c'est un énorme clin d'œil à Godzilla !Il faut vivre avec son temps et, à l'époque, les
kaiju japonais jouissaient d'une relative popularité : il n'en fallut pas plus pour que le fils de Crâo, au détour d'un épisode, se retrouve donc nez-à-nez avec cette bestiole toute droit sortie d'un film d'Ishiro Honda ou de Jun Fukuda. Jusqu'au nom, "Terrora", qui n'est pas sans rappeler celui du Tyranosaure tokyoïte, et encore plus dans sa version japonaise : "Gojira". Et pour ceux qui en douteraient encore, la citation finale intervient quelques pages plus loin, lorsque c'est carrément l'affiche du film de 1954 qui est reprise quasiment à l'identique :
Remplacez l'avion et les civils affolés par une poignée d'hommes des cavernes en déroute, et le tour est joué !Hélas, comme vous vous en doutez, Rahan viendra finalement à bout du mastodonte, à l'aide d'un banal pont jeté en travers d'un ravin sur lequel l'imprudent animal aura l'inconscience de s'aventurer… Comme quoi ça ne sert à rien d'inventer des "Oxygen Destroyer" et autres "MechaGodzilla" là où un banal trou fait parfaitement l'affaire ; mais sans doute Rahan n'est-il pas traduit en japonais, ceci expliquant certainement pourquoi cette solution où le bon sens le dispute à la simplicité n'a pas encore été envisagée par les autorités nippones...